" Tout d’abord, dire d’où l’on vient. Chercher sur la carte, le pays, puis la ville. Parfois on trouve du premier coup, d’autre fois il faut chercher dans l’Atlas, et parfois même, on ne trouve pas. Alors une forme de déception et de tristesse vient ombrer les visages, pourquoi on ne trouve pas ? Etais-ce bien ce nom ? Ce nom gardé en mémoire, que l’on était content d’avoir retenu, quelque chose de tangible, un nom, et si cela n’existait pas, si on avait inventé en déformant la langue. Si ce lieu où je suis passé a disparu, est-ce que ce n’est pas comme si j’avais un peu disparu avec lui ? "

" Aslan, tu te tiens debout, comme un homme qui marche ; comme un roi exilé, loin de son royaume, le cœur plein de larmes retenues, mais qui bat, qui bat, qui bat… Qui pulse et diffuse un amour que tu ne peux connaitre. Il t’aurait consumé sur place. Plus grand que toi, c’est le vivant, le meilleur de nous-mêmes, dont nous ne sommes pas à l’initiative, bien incapables, au bout du compte, de l’exprimer pleinement. Aslan, tu te tiens là devant moi, et je te remercie pour ta peine, pour ton chemin, pour ta lumière. Pour l’autre voyage, immobile celui-là, le chemin que tu m’as fait faire dans la compréhension de l’humain, dans la posture à tenir, dans la conscience de ce qu’il nous reste, car ne nous voilons pas la face : depuis longtemps il n’y a plus d’égalité ; on a lâché sur la liberté ; réussira-t-on à sauvegarder la fraternité, ou bien plutôt, la fraternité nous sauvera-t-elle ? "

" Avoir eu peur – n’avoir connu que la guerre- avoir marché seul pendant des milliers de kilomètres, la nuit – Avoir retrouvé un ami à Istanbul et l’avoir quitté en Autriche pour continuer seul sa route – Avoir un petit frère, resté au pays, qui envoie sa photo sur Instagram- Avoir eu froid – Avoir gravi pendant 3 jours une montagne, à la frontière avec l’Iran- Avoir escaladé seul cette piste, dans le froid et la neige – Avoir été battu par les policiers Bulgares, les pires – Avoir pris la mer, et la mer était immense, et notre canot si petit au milieu des vagues, nous étions seulement huit – Avoir traversé jusqu’à Calais et essayé par deux fois de passer en Angleterre, et avoir échoué – Avoir été envoyé en prison pendant 2 ans – avoir été fait prisonnier et battu en Lybie pendant un an- Avoir perdu tout son argent – Avoir attendu longtemps à Téhéran – Avoir changé de bateau entre la Grèce et l’Italie – Avoir trouvé une voiture pour traverser le pays, quel pays ? - Avoir trouvé à manger, une fois arrivé à Paris – Avoir trouvé la Liberté – Et avoir trouvé la liberté ! "

" C’est un miracle si Alir en a réchappé : un jour, alors qu’il travaillait sur le port, avec trois autres jeunes comme lui, à préparer un zodiaque pour un passeur, son chef d’équipe les a poussés à bord de l’embarcation au moment du départ. Tous les quatre sont restés ahuris, et il leur criait de partir maintenant, sinon ils mourraient ici. Le zodiaque déjà fendait la mer, profondément lourd de ses 140 passagers terrorisés. Alir me montre alors, sur son portable, une vidéo d’un sauvetage en mer, en m’expliquant que leur zodiaque ne tenait pas les vagues houleuses, et que beaucoup de personnes étaient déjà mortes. Amadou a ainsi perdu deux de ses camarades de Libye. Heureusement, un grand bateau de sauvetage s’est alors approché, peut-être l’Aquarius, ayant repéré l’embarcation en difficulté et venu pour les secourir. Les survivants ont tous été débarqués en Sicile. Ils n’étaient plus que 29 personnes."